Discours littéraires et discours scientifiques.
J'entends dire, sans doute un peu trop à la légère, que la culture universelle enseignée à travers les lettres ne sert à rien. Ceux qui produisent ce genre de discours, et qui s'enferment dans une représentation caricaturale et limitée de la littérature et des arts, oublient que le scientifique qu'ils sont devenus s'est structuré mentalement d'abord par le biais de la littérature. Car la langue par laquelle s'organise le discours scientifique a pour origine la littérature. Les historiens des langues sont formels et montrent bien cette primauté du littéraire. En outre, on n'a vu nulle part un excellent scientifique qui n'a pas développé, au préalable une maîtrise correcte de la langue. Mais surtout, nul ne connaît un enseignement, même en religion, donc d'essence purement dogmatique, qui n'ait ses apprentissages spécifiquement littéraires. Les exégètes et pédagogues de la Thora, de la Bible et du Coran étudient très bien les usages linguistiques et littéraires qui permettent d'accéder au sens. Une part du dogmatisme aveugle et mortifère qui règne dans le monde, provient précisément des carences linguistiques ou logiciennes et de l'ignorance des espaces interdiscursifs.
Les mathématiques développent la même capacité d'abstraction, chez l'apprenant, disons plus généralement chez le sujet parlant ou écrivant. La capacité d'abstraction s'obtient par l'évolution psychique, elle s'inscrit dans le développement génétique de l'enfant et se fortifie instrumentalement par l'acte d'enseignement. Nous n'aurions plus jamais de grands économistes et de grands mathématiciens, si nous arrêtions d'enseigner les disciplines littéraires. Certains esprits étroits ou partisans conseillent, sous prétexte d'économisme ou par démagogie, de fermer les facultés des lettres. Ils prônent l'humanisme, en tuant les humanistes. Je ne vois pas d'issue au scientisme forcené qui est pire qu'un humanisme supposé désuet et stérile. Qui ne voit pas, dès lors, la complémentarité qui fonde l'action pédagogique, à tous les niveaux de la formation de l'homme ? Former l'homme, au sens plein du terme, c'est de cela qu'il s'agit véritablement. Un livre de Montagne, un fragment de Blaise Pascal, génie précoce, sublime penseur et mathématicien, un poème de Victor Hugo, un vers d'Arthur Rimbaud bien élucidés contribuent à façonner l'être humain. Car en développant méthodiquement l'intelligence et la sensibilité, l'étude minutieuse et bien orientée de l'objet littéraire assume l'ancrage de l'homme dans l'humain.
Dans une communauté humaine, il faut des Temples et des Tambours ; il faut des ministres de la foi et des médecins ; des versificateurs et des chercheurs. Où a-t-on jamais vu une société composée uniquement de tenants de la science, dont on sait d'ailleurs qu'elle est fortement entachée d'idéologie, aux dires de scientifiques et philosophes universellement reconnus ?
L'inutilité présumée de l'étude des lettres et des arts est un vain débat. Car c'est par la langue que la science structure le monde, le met en codes et en formules.
Pr. Birahim Thioune