Après Goncourt 2021

Identités, frontières et mémoires d’Afrique

Regards sur la création littéraire et artistique

L’attribution du Prix Goncourt à notre jeune compatriote Mohamed Mbougar Sarr nous honore à bien des égards. Elle valorise notre système de formation, elle constitue une source de motivation pour nos futures élites intellectuelles et une interpellation adressée à nos créateurs de fiction.

Du point de vue de l’historien de la littérature, cet événement semble marquer, en tout cas chez nous, la fin de l’ère postcoloniale qui a consacré des thématiques rapportées à l’acculturation, aux conflits de génération, etc. Il nous fait quitter les terrains exténués de la littérature coloniale et des lendemains des indépendances, où on a cultivé, sans jachère, les invectives, les procès en culpabilité,l’autoglorification outrancière. Les lecteurs occidentaux en particulier, et la critique littéraire en général, sont finalement saturés de récits, qui racontent la même aventure coloniale et postcoloniale, de confrontation des cultures, de l’aliénation culturelle et, sur un autre plan, de l’incompétence de certains dirigeants et de coups d’Etat militaires.

Mais la consécration de la crème des créateurs africains, sous d’autres cieux, nous fait courir le risque d’une fracture dans la communauté des écrivains et des critiques littéraires et d'arts. Il va sans dire qu’il se créera, à un moment donné, deux modalités d’évaluation des œuvres ; l’une représentant la version prestigieuse et l’autre étant considérée comme secondaire, condamnée à s’étioler ou à dépérir.

Aujourd’hui, il faut créer en Afrique les conditions de réalisation des standards internationaux, dans les domaines de la création et de la critique des lettres et des arts cinématographiques et figuratifs. Il devient urgent d’organiser les écrivains et les critiques des pays du Sud, en créant des prix prestigieux et en soutenant l’édition et les meilleurs auteurs. Je ne souhaite pas qu’un jour, on se mette à réclamer - ce qui serait absurde – des droits sur les productions ou le rapatriement des œuvres littéraires et artistiques d’Africains ayant choisi, à un moment donné de leur existence, de vivre en Occident et d’y faire carrière, quand leurs pays d’origine n’ont rien consenti pour les retenir. Il est absolument pressant de créer de grands prix, - il faut y mettre le temps et l’énergie nécessaire- comme en Europe ou en Amérique. Mais, pour cela, on devra apprendre à mieux travailler, tous, écrivains, éditeurs et critiques, et à se montrer plus exigeants en matière de création et d’évaluation des œuvres artistiques et littéraires. En tous cas, le nouvel ordre fracturé, clivé qu’il faut redouter, arrive à grands pas. Car ce qu’on voit au grand jour s’exprime dans l’apparition de trois catégories de créateurs :

· Ceux qui sont restés dans leur milieu d’origine

· Ceux qui sont partis vivre ailleurs leur aventure

· Ceux qui ont pérégriné et qui ont tiré de leurs séjours, hors du territoire d’origine, le meilleur d’eux-mêmes.

Il est évident que l’expatrié qui se soumet à la loi du milieu possède toutes les chances d’être découvert, adopté et adoubé. J’entends celui qui accepte de se conformer aux codes en vigueur dans les milieux d’adoption, ce qui ne signifie guère l’obligation de se convertir à des valeurs nouvelles. Celui qui choisit, en revanche, de nourrir sur place la culture littéraire et artistique court le risque d’être évalué comme créateur périphérique ; et la tentation est alors grande, chez les jeunes surtout, de rejoindre, à plus ou moins brève échéance, le clan des expatriés.

La dernière catégorie surtout représentée par des femmes, à ma connaissance, pour le moment recouvre la classe des auteures que j’identifie comme des plumes voyageuses.

Je penche évidemment pour une énergie créatrice endogène et des normes d’appréciation conformes aux standards internationaux. L’expérience des choix Goncourt qui permettent de relativiser les critères du grand choix est déjà une piste à explorer.

Pr. Birahim Thioune