Introduction
La présence de Cheikh Ahmadou Bamba dans l'histoire ne s'éclaire véritablement qu'en dehors du narratif inspiré du contexte politique colonial, imaginé par les doctrinaires et les historiens de l'occupation
Non violent ? Cheikh Ahmadou Bamba l'était assurément, mais adossé à un socle religieux d'essence islamique. Il ne s'agit donc pas d'un corpus provenant d'une orientation personnelle liée au contexte de domination coloniale. C'est pourquoi il importe de relativiser ou de réévaluer les concepts et les notions communément utilisés, cent ans après la disparition de Cheikh Ahmadou Bamba.
Contre les représentants des différents ordres religieux ? Son parcours spirituel dit tout le contraire. Puisqu'il a pratiqué plusieurs "Wirds" ou corps de doctrines qui l'ont mené à la foi ou spiritualité dénommée Mouridiyya (Mouridisme, dans la tradition occidentale). Il a même entretenu de bonnes relations avec les plus grands chefs religieux de son époque.
Militant en faveur d'une classe sociale opprimée ? Non pas tout à fait, à mon sens. Son combat était de promouvoir les valeurs célestes, islamiques en l'occurrence. Certes, des hommes et des femmes qui se sont sentis opprimés, écrasés par l'ordre social stratifié et un pouvoir colonial extrêmement féroce, ont trouvé en lui un refuge, parce que sa proximité leur conférait une dignité perdue. Mais sa mission était de loin plus noble et plus élevée.
I- La question méthodologique
La démarche préconisée consisterait d'abord à repositionner le personnage de Cheikh Ahmadou Bamba au centre de sa Mission : la khidma du Prophète Mouhammed (PSL).
Il conviendra alors de partir du rayonnement de cette entreprise pour appréhender ses rapports tendus avec le colon, au lieu d'envisager comme point de départ de cette expérience le champ de conflictualité créé par l'occupant, pour comprendre sa vie qu'il voulait exclusivement dédiée au service du Prophète Mohammad (PSL). C'est-à-dire, en somme, que le problème est né de la volonté de domination du colon, non de velléités de guerre sainte du Saint homme, plutôt préoccupé de vivre pleinement sa spiritualité.
Dans cette optique, il s'agit de reconsidérer le narratif de ses relations avec l'ordre colonial, à partir de l'idée de revivification des pratiques islamiques (retour à la bonne tradition instituée par Mouhammad l'envoyé de Dieu PSL), dans un double mouvement qui s'oppose de fait à l'ordre institué par le pouvoir traditionnel et par le système colonial. Mais réduire la mission de Cheikh Ahmadou Bamba a une lutte locale contre deux types d'oppression, c'est en ignorer le caractère universel et globalisant.
Du point de vue de ces deux dynamiques fondamentales, ce qu'on est convenu d'appeler "résistance culturelle" constitue d'ailleurs une réduction, au regard de la portée universaliste du message de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacke.
Il nous faut donc réfléchir à une nouvelle épistémologie, susceptible d'éclairer ce pan de notre histoire, rigoureusement désinséré de l'idéologie coloniale. Au fond, les récits de la colonisation africaine racontent tous la même aventure méthodologique. Rien en effet ne sort du cadre constitué par la trilogie du héros sanguinaire ou malfaisant, du heurt avec la puissance coloniale et du combat perdu par les forces de résistance.
II- Des intentions prêtées
Observons que toutes les condamnations ont commencé dans l'utilisation des mots :
"Ah vous faites ceci......" "donc..."
"Ah vous prônez cela ...." "donc.. ".
Et Cheikh Ahmadou Bamba a beau dire et répéter qu'il se met au service de Dieu et de Son prophète, pour revivifier les valeurs de l'Islam authentique. On a continué, malgré tout, à lui prêter les intentions de ses prédécesseurs de la résistance armée.Un pouvoir local qui se sent menacé, une administration coloniale frileuse ont construit pour lui une image de guerrier et de porte-étendard des opprimés.
Un nouveau questionnement rapporté au lexique utilisé depuis plus d'un siècle s'impose ; de même que le vocabulaire d'époque constitué d'un stock de mots et d'usages fixés, usés et figés dans la tradition de la narration historique occidentale.
III- Un homme du refus courageusement assumé
Je veux donc dire que le choix des mots est très important, puisqu' il ne représente que le regard d'une époque sur des réalités contemporaines. Mais il ne faut jamais affirmer que Cheikh Ahmadou Bamba est resté en dehors d'un vaste courant de refus de toutes formes d'oppression. Il y était sans doute impliqué, sans vraiment être le promoteur attitré.
Il y a une différence entre déterminer des faits de résistance et identifier un résistant. Ce mot, au sens militaire, renvoie à la guerre contre un envahisseur, à l'affrontement entre individus organisés en armées.
S'agissant de la lutte orientée contre un ordre social et culturel, on peut dire que cela suppose un projet bien mûri et bien ficelé, ayant pour seule fin de le changer de manière radicale, de combattre les "manifestations" d'une culture étrangère.
Chez Cheikh Ahmadou Bamba, c'est seulement dans son projet de redynamisation des valeurs islamiques de son milieu que l'on peut trouver des indices de ce que beaucoup identifient comme une forme classique de résistance culturelle.
Mais il faut bien voir que s'il y a résistance, c'est assimilable au déploiement d'une énergie destinée à fructifier et à maintenir le legs spirituel de la civilisation arabo islamique. De même, le héros, dans un tel contexte, ne serait que la pointe avancée d'une conscience en éveil, dans un milieu spécifique.
Conclusion
Les mots ne recouvrent pas la totalité de la présence massive du Saint homme. Le spectre des circonstances de sa Mission, avec ses significations et sa symbolique, déborde la sphère du vocabulaire utilisé par l'histoire officielle. En somme, les mots ne recouvrent pas la réalité de son existence ; c'est plutôt le halo de sa présence qui dépasse l'environnement des mots utilisés pour l'exprimer. Il faut donc commencer par faire le nettoyage des programmes obsolètes de la narration coloniale.
Dieuredieufé Serigne Touba !!!
Pr. Birahim Thioune