Conférence: Frontières, identité et mémoire

Représentations dans la vie sociale et dans les univers romanesques

Avant-dire

En engageant ma réflexion sur la question de l’identité, j’ai songé qu’il valait mieux jouer un mot contre d’autres mots, une notion contre d’autres notions, ou un concept contre d’autres concepts. Je choisis alors d’associer et de mettre en dialogue trois conceptions celles de la « frontière », de l’ « identité » et de la « mémoire ». Je m’imaginais alors que la « mémoire » n’était pas un espace circonscrit, délimité mais ouvert ; que l’identité ne correspondait pas à une séquence bornée de l’histoire individuelle ou collective ; et qu’enfin la « frontière » ne désignait, en aucun cas, un tracé infranchissable. D’où l’on voit que ces concepts tout le temps en conflit et en rébellion contre eux-mêmes, refusaient toute idée de fermeture. A rebours, se mettent en jeu des mécanismes de déstructuration, à travers le jeu de forces secrétées par la vie communautaire et qui s’opposent aux représentations que celle-ci véhicule.

L’esprit de regroupement, de conquête, l’esprit de paix également, poussent les hommes à reconsidérer les tracés physiques, à les assouplir par la coopération, mais aussi à les violer, au nom de la survie d’un groupe social. J’en infère que les frontières n’existent que pour être enjambées – Ce n’est pas un encouragement aux départs massifs et suicidaires, évidemment. Pour les deux autres concepts j’emprunterai à Gérard Genette expliquant le sens du progrès dans l’histoire de la littérature, les idées de « régime constitutif » et de « régime conditionnel » qui impliquent des actes d’inclusion, d’une part et d’exclusion d’autre part, relevant purement de l’idéologie, c’est-à-dire des motivations et des choix. Ainsi, partir du massif constitué des valeurs et du patrimoine d’une communauté, on décide d’inclure des données nouvelles ou d’exclure des contenus anciens. En somme, cela voudra dire que ce qui est reconnu aujourd’hui comme « identité » ou « mémoire » ; c’est-à-dire ce que les conventions ont fixé de façon délibérée (pour le dire autrement, ce qui est garanti par des conventions) peut être défait par une décision tout aussi arbitraire, par un autre acte délibéré et révocable, au gré de l’histoire commune.

Ces trois concepts de « frontière », d’ « identité » et de « mémoire » ont donc en commun, comme sens, alternativement, la fermeture et l’ouverture, d’être mouvants. On ne saurait par conséquent, leur attribuer des acceptions figées, puisque désignant des êtres et des choses en constantes transformations ; et qu’il importerait de les mettre en relation solidaire avec d’autres concepts telles que la nationalité, la citoyenneté, l’altérité, etc. ; en prenant soin de les rattacher à tous les domaines de la société et de la vie humaine : la spiritualité, la génétique, l’histoire, la littérature, les arts, etc.

A suivre

Pr. Birahim Madior Thioune