Représentations dans la vie sociale et dans les univers romanesques
Introduction
Notre propos ne questionne pas la vie privée ou les destins individuels ; il ne concerne pas non plus les identités professionnelles (statuts d’enseignants, d’artistes, etc.), encore moins les identités « sexuées » impliquant les exigences de la relation d’amour. En revanche, notre préoccupation touchera les macros processus (les grandes évolutions), en somme, les transformations qui s’opèrent aux plans politiques, culturels et sociolinguistiques et qui structurent nos manières d’être ; puisqu’elle concerne les grands processus historiques, inscrits dans des trajectoires toujours particulières au sein de la société globale.
Il ne s’agira donc pas de dénoncer ce qu’il est convenu d’appeler « crise des identités », il est plutôt question de reconnaître que le moteur des transformations identitaires est, précisément, le mode de la crise, conçue non pas comme un accident de l’histoire sociale, mais une marque de son dynamisme.
De la notion d’identité
- Identité de soi à soi (complexe de supériorité, autodérision, détestation de soi, image collée ou préjugé, etc.). Dans la construction de l’identité personnelle, la notion d’ethos occupe une place importante. Aristote l’avait défini déjà en son temps, la sociolinguistique s’en est emparée aujourd’hui et a procédé à une utile réfection de son contenu. Il faut donc prendre en considération l’importance de la mise en scène discursive de soi, du récit de soi qui n’est pas sans rapport avec l’invention ou la construction de soi, (comme nous le verrons un peu plus loin), avec tout ce que cela comporte comme dérives.
- Identité de l’espèce humaine (ADN et environnement, adaptation de l’identité, etc.). On peut effectuer un rapprochement, d’ailleurs de plus en plus serré, entre les univers biologique et technologique, à travers l’introduction de technologies et d’appareils dans son corps, ou le remplacement de parties de son territoire physique, déplaçant ainsi les frontières de l’être (l’étant).
Mais il demeure qu’à tous les âges de la vie de l’être que je suis, je suis moi et jamais un autre, fait observer le Pr. Djibril Samb, dans son tome 3 de son ouvrage L’heur de philosopher la nuit et le jour-Quand philosopher c’est vivre (2017).
- Identité et universel (civilisation planétaire, diversité culturelle, etc.).
Identité individuelle c’est ce que chaque individu représente en rapport avec son passé familial, sa propre trajectoire personnelle se transforme sans cesse, même si les mutations sont parfois très longue. Elle est comparable à une plume au long cours qui charrie des éléments en absorbant leurs éléments fécondants et leurs potentialités. Le Nil reste toujours le Nil même lorsqu’il aura accueilli des infrastructures et absorbé de nouveaux éléments. De la même manière chaque individu se requalifie tout au long de sa trajectoire sociale.
- Sur un autre plan, le digital identifie chacun à un moment (T) précis en déplacement sur l’axe de son développement. Les données bancaires, identitaires, peuvent toujours changer. Elles laisseront la place à d’autres indices représentatifs de l’individu. Sous une apparente immobilité, l’idée individuelle subit à chaque instant des changements plus ou moins imperceptibles. L’identité individuelle subit les conséquences des représentations : les sportifs, les intellectuels sont victimes de discrimination raciale jusque dans leurs pratiques professionnelles. Les identités individuelles se dissolvent, à leur tour, dans l’identité collective qui se trouve être la famille, le clan, la nation, l’humanité dans ce qui représente son universalité.
Le corps du noir est associé au dur labeur, à une certaine résilience, mais ne même temps à la souffrance (mauvaises conditions de vie), à la maladie, à la pauvreté (au bas de l’échelle sociale dans les pays d’immigration. Son habillage culturel ne fait d’ailleurs que l’envelopper dans les vapeurs de l’essentialisme. Le corps noir même totalement adapté au milieu européen est accompagné, en toute circonstance, des représentations d’ordre biologique et culturel.
L’habit du noir porté par le blanc draine avec lui tout un univers de caractérisation ou de stigmatisation insensé. Une française de haut rang et de grande élégance, Ségolène Royale, en visite au Sénégal se fait photographier dans un grand boubou et des accessoires de Dame wolof. Cela lui a valu des quolibets et des mots malveillants ou désobligeants de la part de ses compatriotes françaises, au moment où l’opinion au Sénégal la trouvait pimpante.
En général : communauté nationale vs communauté sous-régionale ou transnationale ex : l’identité peulh ou le problème de la variation d’un même type sociolinguistique.
L’identité est un concept équivoque dans l’espace territorial qui renvoie à l’identité politique induit l’idée de frontières physiques, terrestres et de l’imaginaire.
On peut fixer des frontières aux hommes il est impossible d’arrêter la maladie aux portes des limites physiques des territoires. Le coronavirus (COVID 19) donne une idée précise de la nécessité d’assouplir les lois et les règles qui régissent l’émigration.
Pour la première fois, peut-être, dans l’histoire moderne de l’humanité la peau noire n’est pas au-devant de l’actualité, associée à la malédiction. La pandémie vient de Chine, une princesse mondiale, et constitue une menace universelle. Elle fait ouvrir les yeux sur la vanité des slogans touchant les plans de santé pour tous. En outre, elle administre la preuve que les destins des nations sont solidaires et que le moment est venu de réaffirmer le caractère individuel des relations entre pays et entre nations. A ce tournant du destin collectif des hommes de toute la terre, il importe de reconsidérer les rapports de fraternité, d’équité et surtout de liberté de choisir sa terre d’élection. En tout cas, il importera d’assurer une collaboration étroite entre réseaux d’instituts de recherche du Nord et du Sud.
Le coronavirus, dans son déploiement, va modifier l’identité économique des puissances mondiales et ouvrir une perspective nouvelle dans l’unité des nations. Ici comme ailleurs, on retiendra l’idée de dissolution permanente des identités et d’un procès interminable de renégociation, de configuration/reconfiguration.
L’identité sociolinguistique renvoie aux signes culturels et symboliques : la langue, les stéréotypes, les dispositifs de communication, le sens de l’altérité, ainsi qu’aux cultes et aux rites communautaires. Dans cet ordre d’idée, la langue constitue le moyen sans doute le plus puissant que l’on peut mobiliser pour promouvoir le concept et la notion d’identité. Puisque celle-ci n’existe réellement que dans le discours que je tiens sur moi-même, et que les autres, à leur tour, m’appliquent. Mais le récit de soi est inscription de moi-même dans le temps ; car c’est le temps qui garantit la « mêmeté » (selon P. Ricœur) et qui creuse l’écart vis-à-vis de soi.
L’identité est un récit narratif qui s’énonce, se proclame, si on veut, se nie, mais également se réaménage. Ainsi, le temps de l’identité n’est que le temps raconté par un « je » sans cesse unique et différent à la fois, comme chez Heidegger, « l’être-là ayant été là ». En somme, l’identité refuse la sujétion à un temps dont les frontières correspondent à celles de l’Universel, pour n’être qu’un temps révolu.
Pr. Birahim Madior Thioune