Conférence: Frontières, identité et mémoire (suite II)

III- L’identité comme devenir

Quelle est notre identité après les épreuves de l’esclavage et la colonisation, avec ses missions de civilisation ? La stratification sociale d’aujourd’hui est-elle identique, en tout point, tout au long de notre histoire nationale ? On peut voir que les nouvelles valeurs issues de la modernité ont fait irruption dans nos existences et changé les fondements communautaires, relativement aux savoirs, aux savoir-faire, aux normes sociales et aux nouvelles formes de communication (aujourd’hui le digital). Dans une optique futuriste, d’ailleurs, comment rester des terriens après la colonisation de la lune et de la planète rouge ?

1- Co construction au plan individuel

La notion d’individu dans un monde dominé par la science et le numérique s’enrichit en intégrant les marques distinctives d’une époque de progrès continu dans tous les domaines. L’intelligence artificielle est en train de révolutionner nos modes de vies ; elle affecte nos manières d’être et de penser l’humain. L’individu dans un tel contexte prolonge son corps par les moyens technologiques sous formes de prothèses, d’objets divers pour corriger les déficits liés à l’âge ou aux maladies.

L’identité du migrant

En fonction des endroits et des raisons qui justifient la mobilité, les migrants représentent une diversité de profils ou d’identités homogènes ou souvent en concurrence. Mais il y a lieu de signaler d’emblée qu’il existe des émigrés/immigrés qui s’installent dans leur milieu d’accueil ; il y a à côté des émigrés/voyageurs qui prévoient un retour au milieu d’origine. Quand les premiers vont à la recherche de nouvelles perspectives de vie meilleure dans d’autres espaces géographiques, les seconds envisagent, quant à eux, de revenir pour mieux s’intégrer à leurs terres d’origine.

L’identité du migrant la plus médiatisée, à notre époque est d’abord celle d’individus de tout âge voyageant dans des embarcations de fortunes (en France). L’autre versant de cette identité comporte des aspects moins reluisants : c’est celle de la vie aux frontières, sous les tentes en plastique et affrontant chaque jour les forces de l’ordre, pour forcer les barrages (Grèce/Turquie), après avoir fui les conditions éprouvantes des territoires en guerre (ex : Syrie).

En France la question de l’identité, pour la frange immigrée, se pose dans une très grande acuité. Comment se réclamer de l’arabité et vivre en Français ? Comment vivre en République, pour un Africain directement sorti de la colonisation, avec une identité de noir islamisé ? Quelles appartenances, enfin, pour les jeunes nés de l’immigration en France ?

Au de-là des questions théoriques et purement spéculatives, ce qui se joue véritablement c’est un vrai problème d’insertion, d’acceptation par son milieu d’accueil. Une pensée occidentale imbibée de christianisme nourrie de préjugés, des plus tenaces à l’égard des Arabes et des Noirs, peut-elle intégrer dans un délai proche les images opposées d’un « autre », presque incertain ?

Il faudra que cet autre prenne la couleur locale, à travers de multiples transformations ; et que le « même », dans ses métamorphoses, son histoire et ses mémoires successives, donne aux filles et aux fils de l’immigration leur vraie place dans son devenir. A une autre échelle, les nations puissantes qui se sont partagé le gâteau colonial à la conférence de Berlin (1852) doivent accepter d’évoluer dans le sens des revendications mémorielles, par des actes de repentance. L’humanité doit alors commencer d’écrire les pages nouvelles d’une identité particulière et relative, dans un immense mouvement gravitationnel qui informe tout l’humain.

2- Conduite de résilience et d’ouverture

Même pris dans le jeu social, l’individu se trouve dans l’obligation de se soumettre à une double exigence de préservation de ses acquis naturels et de prolongement dans les possibilités sans cesse accrues offertes par le progrès scientifique et technologique.

L’immigration dans un pays de son choix peut se définir comme un choix assumé de vivre un destin communautaire. Elle est, en même temps, une prise de risque dans les domaines social, sécuritaire, médical, etc.

En plein essor mondial du coronavirus Covid 19, les avions de touristes continuent de se remplir, pour des destinations où l’on n’espère pas rencontrer la pandémie. Les risques de l’infection, devenus les sujets les plus courants, sur toute réflexion dans les cinq continents inquiètent le monde entier.

Aujourd’hui il y a lieu de s’interroger sur la nécessité pour les africains d’aller suivre des soins hors d’Afrique, au moment où la médecine occidentale peine à contenir l’expansion de la maladie. Le voyageur, le migrant ou l’amateur de soins dans les hôpitaux de l’Hexagone doivent intégrer la nouvelle donne.

Le coronavirus vaincu sur les terres naguère stigmatisées, appelées avec condescendance ou mépris sélectif pays maudits ou pays de m….., doit amener à penser autrement les rapports Nord/Sud. Car les épidémies comme les catastrophes naturelles ou autres tragédies humaines posent avec acuité le problème de la nécessité de réformer la conscience des identités raciale, politique, économique ou simplement humaine.

A suivre

Pr. Birahim Madior Thioune