Conférence: Frontières, identité et mémoire (suite V)

IV-  La dissolution des identités culturelles (ou le problème des appartenances plurielles)

3 – L’identité économique communautaire sous l’angle de l’universalité

L’identité économique communautaire, dans la perspective de l’universalité, obéit au même mouvement de composition/recomposition. Salif Ba dans Les Gardiens du temple, reçoit une formation d’ingénieur et revient parmi les siens, pour replonger dans leur préoccupation et leurs modèles d’existence. Il propose le dépérissement de la culture de rente imposée par le colon et préconise un retour aux cultures vivrières associées à des projets communautaires, impliquant l’application de techniques empruntées aux modèles mutualistes et coopératifs. Les contradictions vont venir de tous les côtés de la société. On est alors dans un imaginaire contrasté, dont les conflits générés orientent vers le relativisme et l’universalisme.

La perte de l’authenticité ou de l’identité première, au plan individuel et collectif, n’est pas, chez les personnages de Cheikh H Kane, de l’ordre du tragique absolu, puisqu’on s’en relève avec une autre énergie, en se donnant une nouvelle authenticité. Le « vieux fou », comme le nomme le narrateur, Pierre Louis, dénonce, dans une scène de mise en abyme, les cultures d’exportation et le droit du colon, pour légitimer l’occupation des terres.

Le problème de la défaite des peuples noirs face à un Occident triomphant, le sentiment de l’hybride, l’assimilation culturelle, l’urgence du déblaiement de la nature » (p. 166) sa maîtrise, puisque : « c’est le même geste de l’Occident qui maitrise la chose et nous colonise tout à la fois » (p. 1667). Sans quoi, d’ailleurs, nous serions toujours contraints de satisfaire notre besoin d’Occident. Cheikh Hamidou Kane rejoint le sentiment de la négritude senghorienne de possession « intime » du monde (p. 168). Tous les thèmes abordés dans le roman, en rapport avec la rencontre des cultures, de l’acculturation et du déracinement, et en filigrane, les problèmes politiques et économiques sont présents, en raccourci, dans ce chapitre. Mais dans la représentation du savoir, l’approche par l’expérience se révèle plus opérationnelle que l’approche « intimiste » (le savoir des Diallobé sur le monde, le savoir de l’homme de foi).

Ce que les fictions de cheikh Hamidou Kane enseignent, dans la perspective des appartenances multiformes, ce sont les incessantes mutations qui affectent les consciences individuelles et les communautés d’idées et de destin. L’ethos individuel ou les habitus (en terme sociologique) qu’on peut renvoyer à la notion d’ethos collectif, ou de comportement global, susceptible de connaître des évolutions, s’observent comme identités mouvantes chez Cheik Hamidou Kane.

En somme, l’œuvre de Cheikh Hamidou Kane témoigne de l’Afrique insoumise, qui refuse toute forme de domination ni d’oppression par l’esprit et par le pouvoir économique.

4- Conquête

Le cas extrême de la « civilisation » numérique comme territoire et comme identité et mémoire, tout à la fois, mérite une attention particulière, en ce qu’on y gagne ou qu’on y perd.

La pluralité des expressions culturelles a induit une multiplicité de moyens et de manières de communiquer. Il faut mettre cela en rapport avec la caducité de la notion de race qui a entrainé la reconnaissance de toutes les langues et fait germer l’idée d’unité du genre humain. Aujourd’hui on a dépassé le déni de reconnaissance fondé sur les idéologies racistes. En même temps, on a observé une déconstruction des idées racistes qui ont affecté le langage et la communication, à travers la critique de Hegel, Lévy-Bruhl, etc., dont les écrits ramènent, sous ce rapport, à des discours de disqualification ethnocentriste.

Aujourd’hui, avec l’Internet, on accède à une ère nouvelle de partage d’offres culturelles qui ouvrent des possibilités, même aux minorités. L’usage de ce nouvel outil, au-delà des échanges entre cultures différentes, favorise un plus grand développement économique.

Dans les institutions et administrations, ils facilitent les relations de travail et la bonne circulation de l’information. Il faut cependant relever que les moyens modernes de communication n’ont pas que des avantages pour la vie sociale. Il y a des menaces liées à leur expansion, en termes de bonne moralité (prostitution, escroquerie, etc.)

Au plan des échanges langagiers, il importe de sauvegarder les types de communication relatifs aux spécificités culturelles et conçues selon les classes d’âges et d’identité (religieux, philosophique, artistique, etc.). Pour la paix et la stabilité dans le monde, il faut même promouvoir une communication ouverte à l’universalité. Car les identités concurrentes, dans les espaces nationaux, continentaux et mondiaux, doivent être sérieusement questionnées.

Amin Maalouf a suffisamment montré le caractère non essentialiste de l’identité qui désigne un processus sans fin d’adaptation. La notion d’identité plurielle prouve le caractère dynamique de la chose qui correspond, en réalité, à l’affirmation de ce que je crois être, la perception que j’ai de moi-même, ce que les autres perçoivent de moi, de ma communauté ou de ses membres à un moment précis de son histoire.

Conclusion

Les frontières terrestres comme celles des imaginaires, en s’ouvrant, contribuent à l’éclosion d’identités en marche vers de nouveaux accomplissements, de toutes nouvelles authenticités. Car il n’y a d’authenticité véritable que d’un temps et d’une époque, correspondant à une coupe lointaine, une séquence socio-spatio-temporelle, prélevée dans une trajectoire historique. Au fond, la frontière, l’identité et l’expérience mémorielle se déclinent comme strates de l’histoire. Ainsi, la mémoire ne garde que des instantanés d’une trajectoire sans fin qui arrime l’identité au temps. Les identités sont donc affectées d’un puissant dynamisme et d’un élan de solidarité orientés vers une recomposition à l’infini.

Il y a, au reste, nécessité de sortir des frontières physiques et linguistiques, de défaire les barrières psychologiques, pour aller vers la rencontre d’identités multiples irréductibles à une seule appartenance, et au-delà, vers une identité universelle, une autre lecture de la civilisation universelle. A l’heure où l’homme envisage de conquérir d’autres planètes, l’idée d’universalité va s’étendre et se définir par rapport à d’autres formes d’existences humaines hors du monde, ou se dissoudre inévitablement, dans d’autres recompositions.

• Identité et espace symbolique (problème envisagé en particulier et en général)

→En particulier (l’individu dans son groupe) : identité individuelle vs identité collective

Fin.

Pr. Birahim Madior Thioune