Roman et cinéma pour raconter le destin d’une femme
Ramata de Léandre – Alain Baker.
Film tiré du roman d’Abasse Ndione (Ramata, Editions Gallimard, 2000, 450 pages).
Interprétation Katoucha Niane.
Le roman s’ouvre sur un prologue décrivant les circonstances d’un récit entendu, un soir, dans un bar. L’auteur référentiel cède alors la place au narrateur présumé dont l’évocation se ferme sur un épilogue qui complète le prologue. Mais dans l’histoire de Ramata Kaba, racontée par Gobi, un rat de bar, les événements sont souvent relatés dans plusieurs versions. Ainsi, de répétition en reformulation ou récapitulation, le narrateur donne l’occasion aux personnages de naviguer entre le présent et le passé, en pratiquant parfois le mensonge utile ou par omission. Et chaque histoire renvoie à une autre ou à un épisode secondaire, comme dans les romans à tiroirs.
1- Les méandres du récit
Un des procédés favoris du romancier consiste à annoncer les événements avant de les raconter. L’explication venant toujours après coup, il utilise, en outre, les recettes du polar (enlèvement, intimidation, meurtre, etc.). On peut observer, en revanche, dans le film de Baker, une préférence pour la linéarité du récit. La narration s’empare alors des données factuelles de l’existence de Ramata et les procédés cinématographiques se substituent aux techniques narratives du roman. Ainsi l’adaptation apparaît comme un acte sélectif. Elle garde de la fiction romanesque le thème de la souffrance des femmes, en particulier celle de Ramata Kaba l’héroïne, en relation avec l’idée de fatalité. En même temps, elle gomme tout le travail sur le récit romanesque (récit de récit, reformulation, etc.) et ne garde de la trame policière que l’aspect banal et routinier de ronde et de convocation au commissariat de police, etc. Le film prend en charge, plus essentiellement, les techniques traditionnelles du cinéma (gros plan, changement de plan, flash back, etc.). Le livre de Ndione se résume dans l’idée qu’une justice immanente semble régir le cours de l’existence et qu’en réalité on ne meurt que de ses propres méfaits. L’histoire de Ramata qui a tout pour réussir, mais qu’une certaine fatalité a conduit à sa perte, en donne une illustration. L’excisée de Saraya eut en fait la chance de rencontrer un homme providentiel, Matar Samb, héritier d’un père immensément riche. Ils se sont connus lors d’une manifestation d’étudiants organisée pour protester contre l’incorporation de quelques-uns des leurs dans l’armée. Ce jour commence une longue aventure qui s’achève avec le suicide de l’époux, alors ministre d’Etat chargé de la justice, et de la mort de la femme dans un bar de Rufisque. Le malheureux n’a pu, en effet, survivre à la révélation des relations de son épouse avec le jeune Ndong. Celui-ci porte, d’ailleurs, le nom de son défunt père, lui-même tué par les policiers, il y a vingt ans, sur un ordre d’arrestation du procureur de la République de l’époque, Matar Samb.
2- Le traitement du fait divers
L’institution du lévirat permet de donner la main de Seynabou Tine au terme de sa grossesse, à Mbagnick Ndong, le frère de son défunt mari. Le fils devenu un adolescent tombé dans la déviance, rencontre par hasard la femme par qui le malheur est arrivé à son père. Ce que lui n’a fait que par habitude, elle par contre ne l’oubliera jamais, puisque le braquage s’est terminé par un viol qui a révélé à cette dame sa véritable nature féminine. L’inconnu qui l’a prise à bord d’un taxi qu’il vient de dérober lui a fait atteindre « les cimes de l’excitation génétique », en parvenant à vaincre sa frigidité qu’elle a toujours attribuée à son excision. Elle a connu cinq hommes avant Matar Samb et bien d’autres après son mariage, dont Armando Gomis le gynécologue et ami de son mari. Aucun ne lui a donné satisfaction et le plaisir ne lui est pas venu non plus par Erika la lesbienne, une représentante du corps diplomatique. Après un séjour d’une année à l’hôpital neuropsychiatrique de Fann, consécutif au décès de Matar Samb, elle restera pour toujours dans le cloaque, jusqu’à la fin de ses jours. Ce qui est frappant, c’est la manière dont les personnages disparaissent : Ngor Ndong le père meurt entre les mains des policiers, Mbagnick et Seynabou Tine sont victimes de Ngor le fils, lui-même tué lors d’une échauffourée au parc du Niokolokoba. Quant au commissaire Diallo, responsable de l’arrestation, il meurt dans un accident de la circulation, bien plus tard. Le professeur Armando Gomisira s’éteindra à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paname et Ndiaba dite Golda Meir, la patronne du Copacabana, puis de la Brise de mer, disparaît après son retour de la Mecque, etc. Les groupes socioprofessionnels sont critiqués à travers des figures incarnant un défaut. C’est le cas de l’homme en tenue qui détourne parfois le pouvoir institutionnel à des fins personnelles, du médecin qui abuse sexuellement de ses patients et du journaliste brillant, mais inexpérimenté et pressé. La magnifique adaptation de Baker, en gardant toute l’originalité d’un cinéaste de grand professionnalisme, montre que l’art cinématographique passe royalement, du fait d’un incontestable talent, par une transposition intelligente et libre de données fictionnelles.
Article paru dans l’ouvrage Ecrire en francophonie, L’Harmattan, 2014 ; relu en parallèle avec l’adaptation filmique de L-A. Baker .
Pr. Birahim Thioune .