2- Les modalités énonciatives de la fiction
Le prologue campe bien les circonstances et mentionne le nom de l'héroïne, Fatima Zohra Cissé avocate de profession en exercice au barreau de Boston puis de Paris. Sa particularité est d'être la fille du président de la République du Sénégal. En face d'elle, un homme jeune et racé, Mohamed Babacar Aurélien, un professionnel dévoué et courtois qui bénéficie d'une bourse d'étude à Lyon. A l'occasion d'une soirée caritative, Philippe, Fatima, Djinda et Marilyn, une bande d'amis, sont reçus au dîner caritatif organisé par la communauté casamançaise de l'hexagone. Lorsqu'au lendemain de cette soirée les filles se retrouvent pour échanger sur leurs impressions, c'est un groupe joyeux et décontracté qui se découvre dans sa soif de vivre.
La présentation de Mohamed Babacar Aurélien par lui-même se fait après plusieurs esquisses offertes par le narrateur lui-même. L'invitation à dîner qu'il a suscitée avec Fatima lui donne l'occasion de raconter longuement sa vie, jusqu'à son arrivée en France pour des raisons d'études. A son tour celle-ci lui fait le récit de son existence auprès de ses parents sur un arrière-plan de rébellion, omettant de dire l'identité de son père. Partage d’histoires familiales et moment très fort de partage d'émotion, l'occasion de ce dîner a provoqué un rapprochement qui s'est traduit par des aveux sentimentaux. Le récit de la vie de Mohamed Babacar Aurélien par lui-même en empruntant le format du dialogue ou des questions - réponses, se présente comme de longs épisodes insérés dans une séquence discursive, un récit enchassé, un récit dans le récit, entrecoupé seulement par les interventions très mesurées du narrateur.
Ce récit livre les informations essentielles qui structurent le narratif de Mohamed Babacar Aurélien en autoreprésentation et en révélations sur la rébellion casamançaise, dont les origines se trouvent dans un certain mépris pour les populations et la répression des manifestants (p.125). L’intérêt d'un dispositif composé d'un texte référentiel et d'une fiction est dans la mise en correspondance des dates, des faits eux-mêmes et des acteurs des drames qui sont évoqués. C'est par le même mécanisme de prise de parole que Fatima va livrer à son ami l'histoire de sa vie, telle qu'elle l'a vécue ou l'a reçue de ses propres parents. Fille du Directeur général d'une banque, dont le père s'était enrichi dans l'immobilier et le secteur de l'hôtellerie, et d'une mère pharmacienne. Tout commence par une relation amoureuse entre deux jeunes personnes, se fortifie par l'accord parental et familial sous l'autorité de deux instances politiques. Les noms de personnages retenus et l'observation des prescriptions de l'Islam, pour unir les deux fiancés, tend à contredire l'idée d'une quelconque affiliation du MFDC à la religion chrétienne, même si la culture chrétienne est bien présente, à travers la préparation du mariage civil. Il y a comme une sorte de concession idéologique des deux partis, concernant la compréhension du dogme du péché originel et la possibilité de se retrouver sur un terrain d'entente pour les offices du mariage. Un conflit qui aura duré presque quarante ans se résout à la faveur du mariage qui unit la fille du président de la République et du fils d'un ancien lieutenant de la Rébellion.
Dans la famille de l'héroïne, il y a deux médecins (sa grande Sœur Patricia Diéynaba, Mohamed), une pharmacienne, sa mère, un banquier son père, elle Fatima est au barreau. La révélation de taille qu'elle fera tardivement à son ami Mohamed, fils d'un rebelle du MFDC, est qu'elle est la fille du président de la République du Sénégal. On observe que les personnages de fiction peuvent être clairement identifiés, mais que les acteurs politiques censés représenter des personnes existant dans la réalité ne sont désignés que par leurs fonctions (Président, chefs rebelles, membres du Comité de concertation, bureau restreint du Comité de concertation, Comité des sages du MFDC, délégations officielles de pays frontaliers du Sénégal). Au reste, si les noms de personnages et les rituels du mariage renvoient à un univers islamique, la vision du monde exprimée est profondément chrétienne, par les rites ou rituels évoqués et par l'idéologie du péché originel (p.227 ; 242). Le principe des enfants responsables des comportements de leurs pères ne fonctionne pas, dans un tel contexte, c'est- à- dire en dehors de l'ordre de la charité. Il faut observer que ce beau monde baigne dans une sorte d'idéologie du secret : tout est soigneusement gardé en famille comme en politique.
Conclusion
Il apparait évident qu’une fiction romanesque se passe de justifications et de positionnements extra fictionnelles, par essence même. Toujours est-il que l’ensemble peut s’interpréter comme massif littéraire unique et compris à la fois dans ses visées explicatives comme dans sa texture d’objet littéraire. L'œuvre se dote d'un paratexte fourni en péritexte (titres, avant-propos, épilogue) et épitexte (dédicace, épigraphes et remerciements, préface, postface, bibliographie et sitographie), selon la terminologie de Genette, contribuant très fortement à donner au récit un ancrage solide dans des événements bien documentés (Bibliographie et sitographie). Le choix de parler des événements récents, tout en doublant les événements en cours par les faits de l'histoire mouvementée de la Casamance en notes, donne au lecteur la possibilité d'une lecture à partir de deux foyers de connaissance des lieux. L'intérêt de mettre en place des ressources documentaires avérées, c'est de bien montrer l'authenticité de la recherche, qui n'est pas simulée mais réalisée en fait, contrairement aux corpus mis en place dans Le temps de Tamango (B.B.Diop) et La plus secrète mémoire des hommes (M.M. Sarr).
Pr. Birahim Thioune .