L’actualité de Senghor

De Djogoye (le Père) à Diomaye (l'Homme neuf): une lecture trinitaire

Diogoye fut le géniteur et l'initiateur en Christianisme du Père de la Nation sénégalaise,, Diomaye par l'esprit devient le dépositaire du patrimoine du Fils. Cette succession, pour ainsi dire trinitaire, qui s'aligne sur les fondements dogmatiques, se réalise pour assurer la pérennité de l'héritage du poète visionnaire.

Trois étapes se seront succédé en effet, pour conduire le peuple béni du Sénégal vers les rives tranquilles du salut, par le travail et la foi en Dieu. Diogoye -le-lion révélait déjà l'unificateur en offrant un bœuf à Cheikh Ahmadou Bamba Mbacke de retour d'exil, en guise de participation joyeuse et amicale aux festivités de son accueil. Avec Diogoye le catholique, qui honorait aussi les musulmans, et dont le fils noua amitié avec El Hadji Falilou Mbacke et Serigne Babacar Sy, deux de ses contemporains les plus illustres, commença une histoire peu commune, une Saga qui se déploiera bien au-delà du Sine, de la Touraine et de la Normandie, pour épouser les contours de l'universel.

Senghor Africain jusqu'au bout des ongles aimait aussi, particulièrement, la France, sa culture et ses paysages de rêve, de la Touraine à la Normandie. Il adora Tours, son premier poste d'enseignant, la Cité des Rois de France, en Touraine, éternel "jardin de la France". C'est dans cette ville que son activité créatrice prit un tournant, car reniant ses maîtres en poésie, après la rédaction de ses premiers écrits inspirés de l'esthétique française de cette époque, où prennent une place de choix Victor Hugo et Arthur Rimbaud, Paul Claudel et Guillaume Apollinaire, il rompait ainsi avec une tradition littéraire ancienne de plus de trois cents ans et s'étendant de la Pléiade (1549) au surréalisme (1924/1930).

Au plan religieux, il est important d'observer qu'il existe ce qu'on pourrait nommer une théologie senghorienne, une lecture actualisée du message biblique, qui utilise des analogies et des contextes superposables. La finalité recherchée, par le poète c'était de faire apparaitre la permanence du mystère. Dans les deux livres que je lui ai consacré, j'essaie de montrer dans quelle mesure s'exprime cet humanisme dans toute son amplitude : la spiritualité chrétienne, les croyances païennes, les élans politiques issus de l'humanisme laic, etc. Mon deuxième préfacier de l'ouvrage " Léopold Sedar Seinghor -Un combattant parmi les hommes, un poète devant Dieu", le philosophe et fidèle catholique, Théodore Ndock Ndiaye, propose une intéressante orientation de lecture, en inversant l'ordre des mots, donnant ainsi "combattant devant Dieu " et " poète devant les hommes ", où Senghor apparaîtrait sous les traits d'un héraut missionnaire exemplaire.

C'est fort heureusement que ce legs spirituel, composé de l'"archive" de toute une époque, arrive aux mains de la nouvelle génération de Sénégalais, ses premiers héritiers, venus au monde au début de la longue retraite politique du poète - président. Le message est clair, il prend les contours des paroles du vieillard à l'article de la mort, chez Jean de la Fontaine : " Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse"

Tout le secret est là, plus précisément dans le labeur, le travail élevé au rang d'acte sanctifié, adossé à toute la tradition universaliste de la pensée de son temps.

Senghor, qui se fixait comme date cruciale pour notre nation, l'an 2000, a laissé le flambeau allumé a ses successeurs. Tous, tout en dégageant une certaine originalité se mirent au service de Senghor. Abdoulaye Wade organisa d'abord ses obsèques, suivant le rituel républicain (exposition du corps à l'Assemblée nationale, cérémonies officielles), Macky Sall racheta certains de ses précieux objets personnels et Bassirou Diomaye Diakhar Faye extirpa des enchères sa bibliothèque personnelle. Et la boucle sera bouclée, nous osons l'espérer, avec l'érection prochaine d'une "Bibliothèque Léopold Sedar Senghor" digne du "Fils du Lion", de l'homme du dialogue et du chantre de la Civilisation de l'Universel.

Professeur Birahim Madior Thioune