De la morale dans les œuvres littéraires
Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que les vraies menaces, sur les consciences, concernent moins la littérature que la télévision et les ressources de l'Internet, à travers des productions largement visionnées par la jeunesse. De quelles pressantes menaces parle-t-on d'ailleurs ? La littérature en langue française, mieux représentée chez nous que celles des aires anglophone, lusophone, arabe qui toutes, pourtant, véhiculent plus ou moins les mêmes images, et souvent les mêmes valeurs, n'est pas en principe la seule concernée. On l'oublie trop souvent, les observations critiques, à partir de critères non littéraires, ne portent que sur la littérature de langue française. Tout le monde peut voir l'inefficacité d'une telle entreprise de moralisation qui ne s'appuie, peut-être, que sur moins de 0.1 du lectorat global. Il aurait été plus équitable de nourrir le même intérêt pour les publications, dans toutes les autres langues de grande communication.
Pour revenir aux aspects moraux et à la critique moralisatrice des œuvres littéraires, convenons que tout ne peut être représenté, tout ne doit pas être dit, par respect pour les croyances ou pour la foi religieuse de son lectorat.(sur le cas Salman Rushdie, cf. mon Bilan technique du roman moderne, Paris, L'Harmattan, 2010; nouvelle édition, L'Harmattan Sénégal, 2022).
Mais acceptons qu'il y a, chez le romancier Sarr, une intention de jouer avec le lecteur ou peut-être, dans une certaine mesure, de se jouer des sentiments ou de l'affectivité du lecteur. Ainsi, la visée lubrique ou érotique constitue une donnée principale du roman. L'épisode salace de la première partie semble surajouté, puisqu'on s'en serait passé, sans dommage pour la cohérence du récit. Seulement, il faut concéder qu'à l'étape d'analyse des faits, le premier temps de l'enquête manquerait sans doute de consistance. Toujours est-il qu'une forme de complaisance dans l'érotisme est observable dans le déroulé des événements de la fiction.
Il y a également une dimension pamphlétaire, dirigée contre la critique littéraire et les générations précédentes d'écrivains dont on fait le procès (p.57-58), pour en rire. Un aspect d'ailleurs troublant du récit vient du fait que la pulsion de mort est exprimée à travers les meurtres présumés, dans un premier temps, des critiques littéraires.
Ainsi, la fiction fonctionne-elle sur le modèle de l'opposition entre Eros (pulsion de vie) et Thanatos (pulsion de mort), jeu d'opposition qui pourrait être référé à une lecture biographique de l’œuvre.
Enfin, la provocation par la mise en équation de données non chiffrées et non quantifiables contribue à illustrer la dimension "mystificatrice" de l'écriture (comprenons portée à abuser de la bonne foi ou de la naïveté du lecteur), que l'on retrouve d'ailleurs chez tous les créateurs de fictions de toutes catégories.
Pr. Birahim Thioune